Réfugiés Au Royaume-Uni, la justice valide la délocalisation des demandeurs d’asile au Rwanda

Réfugiés Au Royaume-Uni, la justice valide la délocalisation des demandeurs d’asile au Rwanda

La Cour de justice britannique s’est prononcée en faveur, ce lundi, du premier départ de réfugiés jusqu’à Kigali, malgré les recours de plusieurs associations visés. Portée par Boris Johnson, la mesure, inscrite dans le «plan immigration» du gouvernement, a provoqué un tollé dans le pays.
Des militants des droits humains ont manifesté pour tenter d’annuler le renvoi des demandeurs d’asile vers le Rwanda, ce lundi. (Niklas Hallen/AFP)
Un avion emportant des réfugiés arrivés illégalement au Royaume-Uni jusqu’au Rwanda ? Ce sera une réalité dès mardi. La justice britannique a, en effet, approuvé ce lundi le départ d’un premier vol de migrants vers ce pays africain où ils seront placés dans des hébergements provisoires mis à disposition, le temps que leur demande d’asile soit examinée, à plus de 6 000 kilomètres de Londres.

Jusqu’au bout, les quelques manifestants pro-réfugiés rassemblés devant la Cour de justice britannique y ont cru, brandissant des pancartes sur lesquelles on pouvait lire «non à la déportation des réfugiés». Ce lundi, la juridiction examinait l’appel de plusieurs plaignants, dont les associations Care4Calais et Detention Action, visant à faire annuler le premier départ de demandeurs d’asile en direction du Rwanda. «Cet appel est rejeté», a finalement déclaré le juge de la Cour d’appel à Londres Rabinder Singh, confirmant la décision formulée en première instance. L’annonce a eu l’effet d’un couperet, alors que les associations de défense des droits humains s’étaient lancées dans une course contre la montre pour empêcher le départ des migrants visés par la mesure.

Tollé au Royaume-Uni

Ce lundi, devant la Cour, la stratégie des associations a consisté à engager un avocat pour chaque réfugié, afin de les faire retirer individuellement de la liste du vol. Le nombre de réfugiés concerné par l’expulsion a donc diminué au fil de la journée. Il en restait entre huit et onze en fin de journée, selon les chiffres de l’association Care4Calais. Mais cela n’aura pas suffi à faire annuler définitivement le premier vol en direction du Rwanda. Peu après le rendu de la décision de justice, plusieurs députés issus des différents partis britanniques ont signé une lettre ouverte à l’attention de Boris Johnson, appelant à annuler ce vol et à mettre en place immédiatement «des itinéraires sûrs et légaux».

L’annonce de délocalisation des demandes d’asile au Rwanda, principale mesure du «plan immigration» présentée le 14 avril par le Premier ministre britannique, Boris Johnson, avait provoqué un véritable tollé dans le pays, et une opposition jusque dans les rangs de la famille royale. La semaine dernière, le prince Charles, héritier du trône, aurait qualifié cette mesure d’«effroyable». Depuis plusieurs mois, les associations de droits humains multiplient les actions en justice afin de faire avorter certaines dispositions du «plan immigration». Des recours individuels qui ont déjà pu conduire à la réduction de certaines mesures contenues dans le texte. Selon une source du ministère de l’Intérieur, citée par la BBC, les contestations juridiques ont pu considérablement réduire le nombre de réfugiés concernés par ce premier départ. Ils auraient dû être initialement une quarantaine.

Projet largement appuyé par Kigali

Mais rien n’a pu faire flancher le gouvernement conservateur de Boris Johnson, et notamment sa ministre de l’Intérieur, Priti Patel, qui défend bec et ongles son projet censé dissuader les traversées illégales de la Manche, l’une des promesses du Brexit. «Les groupes criminels qui mettent la vie des gens en danger dans la Manche doivent comprendre que leur modèle économique va s’effondrer sous ce gouvernement», a ainsi martelé lundi le Premier ministre sur la radio LBC. Les traversées n’ont pourtant eu de cesse d’augmenter depuis le début de l’année. Avec plus de 10 000 migrants arrivés illégalement sur les côtes britanniques, le chiffre est en hausse considérable par rapport aux années précédentes.

Dans le cadre du nouveau plan immigration, les migrants envoyés en Rwanda verront leur demande d’asile directement examinée par le gouvernement rwandais. Si elle est acceptée, ils pourront y rester pour une durée de cinq ans. L’argumentaire du gouvernement britannique de délocaliser les demandes d’asile vers un pays tiers est largement appuyé par Kigali, qui assure être en capacité de fournir de meilleures conditions d’accueil. Mais aucune garantie n’a encore été donnée à ce sujet. En réalité, l’intérêt du projet est aussi celui de la manne économique que représente cette sous-traitance. En vertu de cet accord, Londres financera dans un premier temps le dispositif à hauteur de 120 millions de livres (140 millions d’euros).

Risque de «préjudice grave et irréparable»

De leur côté, les organisations internationales de défense des droits humains s’inquiètent que la stratégie de Londres «cherche à rejeter entièrement ses responsabilités en matière d’asile sur un autre pays, allant à l’encontre de l’objet et du but de la Convention de Genève de 1951», ce qui ferait peser un risque de «préjudice grave et irréparable» sur les migrants selon les déclarations de l’ONU et de Human Right Watch. Le gouvernement rwandais de Paul Kagame, à la tête du pays depuis 2000, est régulièrement pointé du doigt pour sa répression de la liberté d’expression et pour son bâillonnement des critiques et de l’opposition politique.

Le Royaume-Uni est le premier pays européen à concrétiser un tel accord de sous-traitance des demandes d’asile avec un pays extérieur, une mesure qui n’aurait pas été possible si le pays était encore membre de l’Union européenne. La décision prononcée ce lundi par la cour d’appel n’entérine cependant pas l’intégralité du plan gouvernemental, qui doit être examiné en juillet prochain. A ce sujet, le secrétaire général du syndicat des services publics et commerciaux, qui compte parmi ses membres le personnel des forces frontalières censé mettre en œuvre la décision, Mark Serwotka, a déclaré sur SkyNews : «Imaginez qu’on vous dise de faire quelque chose mardi qui, en juillet, serait jugé illégal. Ce serait une situation épouvantable.»

Graeme McGregor, activiste pour l’association Detention Action, s’est dit très inquiet que «la sécurité et les droits des personnes envoyées au Rwanda ne soient pas respectés. Pour l’instant, il se dit que onze personnes sont concernées, c’est déjà onze de trop». Selon ses informations, le vol avec à son bord ces réfugiés devrait «partir de Stansted [aéroport au nord de Londres, ndlr], mais il y a des rumeurs selon lesquelles il pourrait finalement partir depuis une ancienne base militaire, à Lyneham. Ce serait le plan de secours du gouvernement pour éviter d’avoir affaire aux manifestations».

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