Pierre Brochand, auteur d’une violente tribune anti-immigration dans «le Figaro», était-il «membre de l’équipe d’Eric Zemmour» ?

Pierre Brochand, auteur d’une violente tribune anti-immigration dans «le Figaro», était-il «membre de l’équipe d’Eric Zemmour» ?

Après la publication dans le quotidien d’un texte sur les risques que l’immigration ferait peser sur la paix civile en France, reproche a été fait au journal d’avoir tu la proximité de son auteur avec l’ancien candidat de Reconquête.

C’est une publication dont le Figaro est très fier. Un «texte exceptionnel» de l’ancien directeur de la DGSE, Pierre Brochand, que le quotidien «s’est procuré», et où cet ancien ambassadeur «résume avec brio [mot supprimé par la suite, ndlr] tous les enjeux que fait peser une immigration incontrôlée et propose des solutions».

Publié mercredi sur le site du journal, le texte est la reprise d’un discours anti-immigration que Pierre Brochand a tenu le 15 novembre devant l’Amicale gaulliste du Sénat. «J’estime que, de tous les défis qu’affronte notre pays, l’immigration est le seul qui menace la paix civile», déclare-t-il en entame. Pour l’ex-patron de la DGSE, «l’immigration exerce sur l’ensemble de notre vie collective un impact transversal, que je tiens pour globalement négatif. [Un aspect] qui se traduit concrètement par une tiers-mondisation rampante de la société française et sa régression continue dans des domaines clés, tels que l’éducation, la productivité, les services publics, la sécurité, la civilité, etc. En d’autres termes, si tout ce qui va mal en France n’est pas la faute de l’immigration, loin s’en faut, elle y participe dans une mesure, à mon avis, très sous-estimée».

«Propositions concrètes»

Pierre Brochand ne parle évidemment pas ici de l’immigration «euro-chrétienne, discrète, laborieuse, reconnaissante, régulée par l’économique et le politique», qui «a représenté un modèle indépassable de fusion réussie», mais de ceux qui depuis les années 70 «viennent du “tiers-monde”, de sociétés hautement défaillantes, et [dont] la majorité est de religion musulmane, ainsi qu’originaire de nos anciennes colonies». Avec un «écart identitaire qui nous sépare des arrivants [sans] aucun équivalent dans notre histoire». Et de prôner, à l’issue de son discours, la division par dix de l’immigration légale ou encore la suppression de «toutes les prestations non contributives aux étrangers, HLM compris».

Sur Twitter, l’un des coauteurs de cet article a fait remarquer que le Figaro avait oublié de préciser, sur son site, que Brochand avait conseillé le polémiste d’extrême droite Eric Zemmour lors de la dernière présidentielle. Ce à quoi la journaliste Eugénie Bastié a répondu qu’il s’agissait d’une «fakenews» : Pierre Brochand «n’a jamais fait partie de “l’équipe de Zemmour”», affirme-t-elle.

Tout dépend, en réalité, de ce que l’on entend par «être membre de l’équipe» d’Eric Zemmour. Pierre Brochand a ainsi bien été cité, par plusieurs de nos confrères, comme ayant conseillé Eric Zemmour pour la présidentielle de 2022. Dans un article publié le 2 décembre 2021 sur le site d’Europe 1, l’ancien journaliste Victor Chabert (aujourd’hui porte-parole de Marine Le Pen) incluait explicitement Pierre Brochand dans «l’équipe» du candidat d’extrême droite, écrivant ainsi : «Dans cette équipe qui travaille pour Eric Zemmour, il y a des ambassadeurs en exercice et des diplomates soumis à un devoir de réserve très strict. Ils ne veulent pas que l’on connaisse leur nom pour ne pas être sanctionnés. D’autres contributeurs, eux, ne sont pas exposés parce qu’ils sont à la retraite. C’est le cas du général de la Chesnais, général quatre étoiles et ancien numéro deux de l’armée de terre [qui deviendra son directeur de campagne], ou de Pierre Brochand, ancien patron de la DGSE. Cette équipe a déjà produit des propositions concrètes : 75 à 80 depuis le début de la tournée littéraire d’Eric Zemmour».

«Je l’ai présenté à Eric pour qu’il étoffe son équipe»

Dans son ouvrage le Radicalisé (Editions du Seuil), achevé en septembre 2021, notre confrère Etienne Girard évoque également les relations entre l’ex-éditorialiste du Figaro et l’ancien parton des services secrets extérieurs : «Dans le plus grand secret, le journaliste bénéficie aussi de conseils de personnalités de premier plan, séduites par son profil intello et ses idées sur l’immigration. De potentiels ministres en puissance. Depuis que Paul-Marie Coûteaux les a présentés dans un restaurant du boulevard Saint Germain, en mars 2019, Zemmour s’est beaucoup rapproché de Pierre Brochand, directeur de la DGSE, les services secrets français, entre 2002 et 2008. “On échange quasi quotidiennement”, reconnaît l’éditorialiste de CNews, quand nous l’interrogeons, en septembre 2021. Le maître espion, né en 1941, ancien ambassadeur de France en Hongrie, en Israël ou au Portugal, est persuadé que l’immigration incontrôlée peut remettre en cause la paix civile, comme il l’a expliqué à une table ronde de la fondation Res Publica, en juillet 2019.»

Interrogé sur les liens plus formels qu’il entretiendrait avec Zemmour, Brochand se montre sibyllin : «Lorsque nous lui demandons par SMS s’il rédige des notes sur l’immigration, la sécurité ou la géopolitique pour Eric Zemmour, écrit Etienne Girard, il nous envoie un lien vers son intervention à Res Publica, avec le commentaire suivant : “Pas vraiment nécessaire de rédiger des notes.”»

Joint par CheckNews, l’ancien député européen Paul-Marie Coûteaux et soutien de Zemmour à la présidentielle, cité par Etienne Girard, confirme également la proximité entre les deux hommes : «Je l’ai connu [Brochand] par Chevènement et sa fondation Res Publica. Je l’ai présenté à Eric pour qu’il étoffe son équipe qui était jusque-là constituée de matelots pas vraiment faits pour la haute mer. Je savais qu’il regardait Zemmour sur CNews et qu’il l’aimait bien. Un jour, Brochand me dit “je l’aime bien mais il a dit une bêtise là”. J’ai donc organisé un dîner chez Vagenende, à Saint-Germain-des-Prés, ce devait être après les européennes, en 2019 – je le sais car à l’époque j’allais beaucoup chez Vagenende, qui est l’autre Lipp [une autre brasserie]. Le lien est passé et ils ont continué à avoir des entretiens réguliers, en relation directe.»

Réagissant à ces différents éléments, Eugénie Bastié a maintenu son propos sur Twitter. Estimant «fausses» les informations de l’article d’Europe 1, elle a simplement concédé : «Ils sont amis, mais il n’a jamais fait partie de l’organigramme de Reconquête».

Plusieurs «entretiens exclusifs»

L’intéressé, pour sa part, nie toute participation, en tant que telle, à la campagne d’Eric Zemmour. Interrogé par CheckNews sur la rédaction de notes ou sa présence à des réunions internes, Pierre Brochand, nous répond ainsi : «Je présume que vous cherchez à m’associer, coûte que coûte, à une formation ou personnalité politique, dans le but (éventuel) de disqualifier mes propos, sans en discuter la substance.» Avant de préciser : «Je n’ai jamais appartenu, n’appartiens pas aujourd’hui et n’appartiendrai pas dans l’avenir qui me reste, à une quelconque formation politique. Je n’ai, a fortiori, pas participé à une campagne électorale de toute ma vie.» Et d’ajouter : «Ce n’est pas de ma faute si ce que je dis ou écris rencontre, sur tel ou tel point, ce que disent ou écrivent d’autres personnes.»

A noter, enfin, que Pierre Brochand est un habitué des colonnes du Figaro. En effet, le quotidien se fait très régulièrement le relai enthousiaste de ses prises de position sur l’immigration. En février 2020, Eugénie Bastié, déjà, réalisait un «entretien exclusif» avec Brochand, après son intervention devant Res Publica, et qui portait – déjà là aussi – sur «l’immigration massive». La semaine suivante, Eric Zemmour (qui officiait dans le journal) rédigeait, de son côté, une chronique dithyrambique sur Brochand et son intervention devant Res Publica. Le 24 mars 2022, Eugénie Bastié (encore) lui accordait un nouvel «entretien exclusif», toujours sur l’immigration menaçant «la paix civile». Une interview tweetée le jour même par Zemmour (alors candidat), avec ce commentaire : «Bravo à Pierre Brochand. Oui, nous subissons une immigration sans précédent et si vous le souhaitez, à partir du 24 avril prochain, j’y mettrai fin.» Mercredi, après la publication, présentée (encore) comme «exclusive», du discours de Brochand, Eric Zemmour s’est fendu d’un nouveau «bravo» sur Twitter à l’attention de l’ancien patron de la DGSE.

Source: Libération

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