Kenneth Kaunda, l’ancien président Zambien
homme qui a conduit la Zambie à l’indépendance est décédé à l’âge de 97 ans.
Kenneth Kaunda est né en 1924 de parents originaires du Malawi. Son père, un missionnaire protestant, s’était rendu en Zambie, à l’époque colonie britannique.
Kaunda, lui, a choisi de devenir professeur. Ce qui, à l’époque, était considéré comme une position importante pour une personne noire, ce genre de fonctions étant réservées aux Blancs. Ne pouvant tolérer cela, Kaunda s’engagea alors en politique. Bien que la puissance coloniale le fit emprisonner à plusieurs reprises, il ne renonça jamais, et finit par se retrouver à la tête du mouvement pour l’indépendance de la Zambie. Son « Parti uni de l’indépendance nationale » remporta la majorité absolue aux premières élections législatives de 1964.
Mais le vrai travail commença lorsque la domination britannique prit fin. « C’est un miracle que nous soyons encore une nation quand on voit tous les défis que nous avons dû traverser« , déclara-t-il plus tard dans une interview à la DW. Si Kaunda dit cela, c’est parce qu’il s’est retrouvé à diriger un État comptant 75 groupes ethniques différents. En dehors des frontières tracées par les puissances coloniales, rien ne les unit. Sur les trois millions et demi d’habitants, à peine plus d’une centaine ont obtenu un diplôme universitaire. La majorité d’entre eux vit dans une abjecte pauvreté.
De l’humanisme zambien à l’État à parti unique
Mais Kaunda parvint à maintenir le nouvel État. À l’instar de Kwame Nkrumah, fondateur du Ghana, ou du Tanzanien Julius Nyerere, il invente une philosophie avec laquelle il veut unir la société. L' »humanisme zambien » est le nom de son concept. C’est un mélange de valeurs chrétiennes, de traditions africaines et de principes directeurs socialistes. « L’homme ne devrait pas vivre de pain seulement, mais c’est ce que les gens font aujourd’hui. C’est pourquoi nous n’avons pas la paix, parce que les gens ne recherchent que les choses matérielles, mais oublient la spiritualité« , a-t-il déclaré dans une interview à la DW.
Le charismatique chef d’État , qui n’hésite pas à enrichir ses interviews et ses discours de citations bibliques et de réflexions philosophiques, gagne le respect du monde entier. « C’était le père du pays, un type assez paternel. Mais il est resté un homme simple qui n’avait aucune ambition d’être vénéré« , a déclaré en 2017 à DW Friedrich Stenger, aujourd’hui décédé, qui a longtemps vécu comme missionnaire catholique en Zambie.
Kaunda, le médiateur
Cette image publique découle également du fait qu’il est impliqué dans de nombreuses crises dans la région. Il cherche par exemple à plusieurs reprises le dialogue avec le gouvernement blanc de l’apartheid en Afrique du Sud afin de résoudre pacifiquement la situation dans le pays voisin. Il est également impliqué en tant que médiateur dans la guerre civile angolaise. Dans le même temps, il soutient également le mouvement de libération namibien SWAPO et le ZAPU au Zimbabwe. « Les masses africaines de ces pays veulent participer au pouvoir dans leur pays. Les gouvernements mis en place par les minorités les empêchent de le faire par la force. Nous ne pouvons pas attendre d’eux qu’ils restent silencieux pendant des années« , avait déclaré Kaunda à l’époque à DW.
Le peuple zambien se souvient encore aujourd’hui. Patrick Chikungulwa rend hommage à l’ancien président pour ses tentatives de médiation. « Il a fait de grandes choses pour le pays et même pour la région« , racontait à la DW ce commerçant de 60 ans lors d’un micro-trottoir peu avant la mort de l’ancien président
« KK a uni les groupes ethniques, dans l’esprit d’une seule Zambie, d’une seule nation« , déclare Mutinta Mushabati, 38 ans. Edith Lengwe fait l’éloge du système éducatif sous Kaunda. « L’éducation était fondamentalement gratuite. Nous avons eu tout ce dont nous avions besoin. L’éducation des citoyens signifie que le pays prospère« , déclare l’infirmière. Aujourd’hui, elle affirme que le gouvernement ne prend pas au sérieux le fait que les enfants doivent recevoir une éducation de qualité.
Une défaite accueillie avec joie
Il existe néanmoins une autre facette de Kaunda qui devient plus visible au fil des années. Comme d’autres fondateurs d’États africains, Kaunda est transforme petit à petit son pays en un État à parti unique. « C’était aussi un homme politique de pouvoir qui savait comment rester à la tête du pays et comment se débarrasser des personnes qui deviennent dangereuses« , estime Friedrich Stenger dans une interview à la DW. La police et les services secrets utilisent des moyens draconiens contre les opposants, et beaucoup d’entre eux finirent en prison.
Durant son règne, les tensions ne firent qu’augmenter. En raison de ses importants gisements de cuivre, la Zambie est techniquement très riche. Kaunda fit d’ailleurs nationaliser les mines de cuivre. Mais à la fin des années 1970, les prix sur les marchés mondiaux se sont effondrés. Les importations furent également coûteuses : en effet, la Zambie n’a pas d’accès propre à la mer, tandis que de nombreuses voies de transport étaient inutilisables en raison des guerres civiles dans la région.
La corruption croissante et les entreprises d’État de plus en plus inefficaces mirent encore plus à mal les performances économiques. L’approvisionnement de la population devint plus difficile, et de nombreux produits ne furent tout simplement plus disponibles dans le pays. Pour autant, Kaunda ne se sentit pas coupable. « Avec nos produits, nous gagnons peu sur les marchés mondiaux. Mais nous payons des prix de lune pour tout ce que nous achetons« , s’est-il plaint dans une interview à la DW.
La population lui fit de moins en moins confiance. En 1986, le pays a connu des émeutes sanglantes, que Kaunda a fait réprimer par l’armée.
En faisant de plus en plus de bruit, la société civile et les syndicats réclamèrent des élections libres. Ce que le président Kaunda finit par accepter, avant de perdre et d’être démis de ses fonctions en 1991. « La joie dans le pays était grande« , se souvient le missionnaire africain Friedrich Stenger.
Retrait de la politique
À la fin de l’ère Kaunda, la Zambie est toujours l’un des pays les plus pauvres du monde – en plus d’être lourdement endettée. Le nouveau gouvernement harcèle l’ex-président dès qu’il le peut, en déclarant notamment que Kaunda est un étranger parce que ses parents venaient du Malawi. Seules des manifestations empêchent le pouvoir de l’expulser du territoire. En 1996, Kaunda tente de se représenter aux élections présidentielles. Frederick Chiluba, l’homme qui lui a succédé, l’en empêche en faisant changer la constitution : désormais, seule une personne dont les parents sont nés en Zambie peut devenir président.
Kaunda se retire alors de la politique. À travers sa fondation, il lutte contre l’épidémie de sida. Dès 1987, il a admis que son fils était mort du sida – alors que la maladie était encore un tabou en Afrique à l’époque. Il s’exprime occasionnellement dans des interviews. Au cours de ses dernières années, il vit modestement avec sa femme dans la capitale Lusaka.
Ce lundi (14.06.2021), le père fondateur de la Zambie a été emmené dans un hôpital militaire – pour une pneumonie, selon son porte-parole. Cependant, il a déclaré qu’il n’avait pas été infecté par le coronavirus. Kaunda est décédé ce jeudi (17.06.2021) à l’âge de 97 ans.
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