La contribution de la diaspora à destination du Mali : un engagement qui évolue à travers les générations

La contribution de la diaspora à destination du Mali : un engagement qui évolue à travers les générations

Le Mali compte un nombre important de membres au sein de sa diaspora. Des hommes et des femmes de tous bords qui, ayant quitté leur terre natale depuis plusieurs années, partagent un lien indéfectible et une affection toute particulière pour leur territoire d’origine. Un attachement qui se traduit par le désir de rester solidaire des difficultés rencontrées par la famille restée au pays, et de subvenir au mieux à leurs besoins non seulement par sentiment de devoir, mais aussi en reconnaissance des sacrifices consentis pour envoyer leurs fils et filles à l’étranger.

En dehors des migrations intracontinentales, la France reste la destination de vie la plus prisée des Maliens, dont le nombre est évalué à plus de 120.000 ressortissants. Au sein de cette diaspora qui se construit et se renouvelle avec le temps, se tissent des histoires différentes dont certaines partagent un point commun : ce moment déterminant où chacun a décidé de quitter sa terre d’origine. Derrière cette décision se cachent des motivations fortes parmi lesquelles la promesse d’une meilleure qualité de vie ou d’opportunités académiques et professionnelles plus attrayantes.

Plusieurs générations de Maliens se côtoient aujourd’hui dans l’Hexagone, participant activement au développement de leur pays d’origine et apportant malgré la distance leur pierre à l’édifice. Afin de tirer profit de cet engagement financier, divers services ont ainsi vu le jour, prenant la forme de plateformes de transfert d’argent, de financement participatif, d’investissement en immobilier ou encore d’investissement en capital.

Dans le but d’analyser les particularités et habitudes d’une génération de migrants à une autre et de définir une approche adéquate d’insertion du numérique pour accompagner les investissements productifs des Maliens de France, le cabinet Innocence Consulting a mené une recherche pour le compte du Fonds International pour le Développement Agricole (FIDA) et de Babylon Mali, plateforme de financement participatif, permettant à la diaspora malienne de France de financer les projets de jeunes ruraux sous forme de prêts solidaires. Cette étude a permis de tirer quelques enseignements quant aux habitudes de cette diaspora en ce qui concerne l’engagement associatif et le financement de projets à destination du Mali. Ces travaux ont par ailleurs identifié les leviers à actionner ainsi que les canaux à privilégier pour favoriser les investissements productifs des Maliens vers leur territoire d’origine par le biais du numérique.

Une diaspora multi-générationelle au service du développement du Mali

Trois générations de Maliens ont été identifiées lors de la recherche, en tenant compte du nombre d’années passées sur le territoire Français. La première, constituée de personnes arrivées en France avant 1990 regroupe des « anciens », âgés de 60 ans en moyenne qui continuent de soutenir largement leur communauté au pays, à travers la constitution d’épargnes associatives et par le biais de transferts d’argents réguliers, même après avoir passé plus de 30 ans loin de leur terre natale.

Les efforts de contribution au développement du Mali sont également portés par un second groupe, désigné comme étant la génération “intermédiaire”. Au sein de cette tranche de la diaspora arrivée en France entre 1990 et 2005, la moyenne d’âge avoisine les 40 ans, et le niveau d’éducation est globalement plus élevé que celui des aînés.

Enfin, vient le dernier groupe, celui de la deuxième génération, composé non seulement de migrants arrivés en France après 2005, mais aussi d’individus nés en France de parents d’origine malienne. L’âge moyen pour ces deux groupes est respectivement de 30 et 38 ans. Ils sont composés aussi bien de jeunes fraîchement sortis du cursus universitaire que de professionnels en début de carrière, disposés à venir en aide non seulement à leurs proches, mais aussi à un cercle plus élargi.

Un engagement associatif qui se transforme

Les Maliens de France sont particulièrement connus pour être actifs et ancrés au sein de leur communauté. 80 % des personnes interrogées lors de l’étude étaient membres d’une association de la diaspora. Celle-ci compte en effet un grand nombre de groupes aux buts divers et variés. Ces associations sont principalement constituées d’organisations villageoises, véritables vecteurs de développement qui mènent de nombreuses initiatives (sociales, économiques, etc.) dans le but de répondre aux besoins et d’améliorer les conditions de vie des populations locales. Elles regroupent généralement les ressortissants d’un même village, d’une même commune, d’un même cercle ou d’une même région du Mali (ressortissants de la Commune de Sagabala, ressortissants de Guéma, Cadersif, Caderkaf…). Particulièrement prisés par la première génération, ces groupes ont pour vocation de permettre le développement en escalier de certaines zones en agissant de façon spécifique au niveau villageois, communautaire ou encore sous régional.

Le monde associatif, bien qu’étant largement constitué de Maliens de 1ère génération, fait également des adeptes chez les plus jeunes qui eux aussi n’hésitent pas à prendre part aux activités associatives de la diaspora. Cependant, cet engagement se transforme. En effet, les nouvelles générations imaginent d’autres façons de fédérer et regrouper la diaspora autour d’intérêts communs transcendant l’attachement au village ou à la région d’origine.

Au sein de ces jeunes générations, le modèle d’association villageoise est donc éclipsé au profit d’autres modèles : les cercles de réflexion, les associations étudiantes et de jeunes diplômés (à l’instar de l’ADEM), ou encore de professionnels (Professionnels universitaires Maliens, Jeunes développeurs du Mali). Ces dernières regroupent principalement des chefs d’entreprises, juristes, financiers, ou encore développeurs entre autres issus de la diaspora qui souhaitent mettre en commun leurs expertises, compétences et connaissances au service du développement du Mali à un niveau national. Ce type d’organisation fédère en particulier des migrants globalement plus éduqués que leurs aînés, arrivés en France pour la plupart dans le cadre de leurs études et qui après l’obtention de leur diplôme, ont décidé de rester dans leur pays d’accueil.

Solutions digitales de transfert et plateformes d’investissements : nouveaux canaux de contribution de la jeune génération

D’une génération à l’autre, les notions d’entraide et de solidarité perdurent et se transcrivent géographiquement notamment par le soutien financier apporté à la famille restée au pays. Le Mali est le neuvième pays africain bénéficiant le plus des fonds envoyés par sa diaspora avec 864 millions d’euros envoyés pour l’année 2018 uniquement (soit 5 % du PIB national). Bien que géographiquement éloignée de son territoire d’origine, la diaspora continue donc d’influencer la situation économique et le niveau de vie au sein de celui-ci.

Souvent dédiés aux besoins primaires (alimentaire, santé, éducation…), ces transferts d’argent sont effectués via divers canaux utilisés pour faire parvenir des liquidités à la famille résidant au Mali. Ici, pas de règles figées dans le marbre mais des préférences, fonction des freins inhérents à l’accessibilité de certains canaux (ex : contraintes administratives, proximité, rapidité…). La première génération des Maliens de France privilégie l’envoi de fonds via les opérateurs traditionnels (Agence Western Union, Moneygram, ou encore Ria) ou les canaux informels (soit via des particuliers souvent présents dans les foyers et qui en font leur activité ou par le biais de personnes qui se déplacent au Mali). Quant aux jeunes générations, plus technophiles, elles optent de plus en plus pour les solutions digitales de transfert d’argent telles que Orange Money, Danapay, WorldRemit, Azimo, etc.

Mais outre le souci d’apporter une réponse immédiate aux besoins de base des communautés locales via ces différentes solutions de transferts d’argent, les Maliens, indépendamment de leur âge, ont à cœur le développement de leur pays et y contribuent soit de façon directe et à titre individuel, soit par le financement groupé de projets, la plupart du temps portés par des associations.

L’entraide de la diaspora se manifeste également par les aides ponctuelles apportées aux proches qui souhaitent démarrer une petite activité au pays. Sur l’ensemble des Maliens interrogés lors de l’étude, 76 % affirmaient être régulièrement sollicités par un proche pour les aider à démarrer une activité génératrice de revenu (commerce de bétail, vente de matériel, maraîchage, embouche bovine, etc.). C’est donc sans nécessairement attendre de retour sur investissement ou une contrepartie que l’on va aider son frère à démarrer son commerce ou à acheter des bêtes pour son élevage, par lequel il deviendra autonome. Cette forme de financement désintéressé, souvent via des dons, est monnaie courante dans les familles maliennes et se pratique volontiers à titre individuel ou associatif.

Toutefois, cette aide ne se fait pas sans conditions, notamment pour les migrants de moins de 50 ans, plus regardants sur les projets à financer que leurs aînés. La plupart déclarait lors de l’étude s’assurer au préalable de la viabilité du projet et des capacités de l’entrepreneur pour mener à bien son projet et faire fructifier son activité sur le long terme, avant de contribuer.

Si la jeune génération de Maliens finance ces microprojets par solidarité, une volonté naissante d’affecter une partie de leurs transferts d’argent vers de l’investissement se fait sentir. Ils se tournent alors vers des plateformes digitales, opérant sur l’ensemble du continent afin de créer de la richesse et de l’activité sur le long terme.

Ainsi, surfant sur ce désir d’investissement à impact couplé au mécontentement de certains membres de la diaspora confrontés à l’impossibilité d’évaluer l’efficacité de projets auxquels ils ont pourtant contribué financièrement, de nouvelles offres digitales sont apparues : Nawali, Afrikwity, Fiatope, Jamaafunding, Babyloan Mali, Cofundy. Celles-ci proposent à la diaspora des domaines variés de participation (investissement immobilier, investissement en capital, prêt ou don aux entreprises du continent, etc.), tout en misant sur des procédures plus transparentes, notamment en termes de suivi ou de mesure d’impact.

Ces nouveaux services digitaux ciblent principalement les personnes de deuxième génération, souvent plus éduquées et plus à l’aise avec les outils digitaux que leurs aînés. Elles sont donc plus à même d’utiliser ces solutions de façon autonome, force de la proposition de valeur du digital.

Susciter la confiance et stimuler l’investissement par une communication adaptée

L’adoption du canal numérique à des fins d’investissement n’est pas encore chose courante pour la diaspora malienne de France et pour cause. Cette dernière, peu encline à

confier son argent à un acteur méconnu de la communauté se rabat encore majoritairement sur ses canaux de contribution habituels malgré les désagréments que ceux-ci peuvent impliquer. Ainsi, pour passer outre cette méfiance, les plateformes de financement ont l’obligation de s’établir comme tiers de confiance auprès de cette diaspora par le biais d’une communication plus adaptée. Une approche phygitale couplant des rencontres directes lors d’évènements ou de réunions d’associations, ainsi que de la création de contenu en ligne permettront de créer ce lien indispensable au passage à l’échelle de leurs plateformes.

Les focus groups organisés avec les Maliens de France ont révélé que les médias traditionnels (radio, TV), notamment ceux de leur pays d’origine étaient délaissés (souvent jugés peu crédibles) au profit de canaux alternatifs tels que les réseaux sociaux (WhatsApp, Facebook, Twitter, etc.). En dehors des jeunes générations de Maliens, les migrants de 1ère génération, bien que moins digitalisés que leurs cadets, sont aussi très présents sur des plateformes telles que WhatsApp, qu’ils utilisent pour communiquer avec leurs familles restées au pays et partager des informations ou actualités en lien avec le Mali. Le service de messagerie instantanée est également prisé par les associations maliennes qui l’utilisent comme canal de communication entre les membres. De fait, pour les plateformes de financement, l’usage de médias adaptés à la diaspora ainsi que les partenariats avec des sites d’informations en ligne ou encore des influenceurs pour la diffusion d’un contenu ciblé, permettent d’augmenter significativement la portée du message et la crédibilité de l’offre de service auprès des Maliens.

En conclusion, la diaspora malienne de France est donc un groupe hétéroclite d’individus aux habitudes et attentes souvent singulières. Loin de chez eux, ceux-ci demeurent néanmoins unis par un socle de valeurs fortes que sont le respect des anciens, la solidarité, l’entraide et le sens de la communauté, se traduisant de façon concrète par des transferts d’argent réguliers en faveur des proches au Mali, et le financement de projets locaux à titre individuel ou collectif, notamment par le biais d’association. Au sein de la diaspora, chaque génération vit différemment sa relation et son engagement pour le développement du Mali. Dès lors, il apparait essentiel pour tout acteur désireux de promouvoir l’investissement productif de la diaspora en faveur de son pays d’origine, de cibler chacune d’entre elle en proposant des outils et des canaux de communication pertinents.

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